Histoires plus adroites que gGauches by Hitchcock Alfred

Auteur:Hitchcock, Alfred [Hitchcock, Alfred]
La langue: fra
Format: epub
Tags: Fantastique, Policier, Suspense
Éditeur: Le livre de poche
Publié: 2014-12-03T23:00:00+00:00

SANG ET OS

(Blood And Bone)

par H.R.F. KEATING

En été, après avoir pris son thé avec des toasts, Mr G.R. Cann sortait à sept heures précises de l’immeuble où il avait son petit appartement et s’en allait promener à Kensington Gardens. En hiver, il se levait plus tard et se ren­dait à la bibliothèque municipale où il passait la matinée à parcourir les journaux dans la salle de lecture, s’économisant ainsi l’achat d’un quotidien. Mais à vrai dire il préfé­rait de beaucoup pouvoir lire le Daily Mail, acheté au kiosque du coin, dans la relative solitude des jardins sur un banc ombragé près de l’Orangerie s’il faisait beau, à l’intérieur de celle-ci si le temps était à l’humidité.

De mai à octobre, il suivait toujours le même itiné­raire, passant ainsi devant une boutique — qu’il avait toujours vue là aussi loin qu’il remontât dans ses souve­nirs — et dont l’enseigne proclamait G.R. CANN, Quin­caillier-Droguiste. Une centaine de mètres avant d’arriver à cette boutique, il gagnait le trottoir opposé, ne voulant pas qu’on pût penser qu’il profitait de cette homonymie pour se faire mousser. Mais comme c’était là le chemin le plus court pour gagner Kensington Gar­dens, il se refusait aussi à emprunter une autre route.

Du trottoir opposé, il ne manquait jamais non plus de jeter un coup d’œil à la vitrine du droguiste. Il avait encore très bonne vue, ne recourant à des lunettes que pour lire, et il était en mesure de voir si l’étalage avait été modifié. Bien entendu, il n’était jamais entré dans cette boutique. Vu la similarité des noms, cela lui aurait paru incorrect. Mais il aimait vérifier que le commerce marchait bien.

Et ce jour-là — un jour qu’il n’était pas près d’ou­blier — il put constater que le commerce était particulière­ment florissant, encore que d’une façon peu plaisante. En effet, depuis la veille, le droguiste avait garni la majeure partie de sa vitrine avec ce qui devait constituer une « Af­faire à saisir » : de gros paquets sur lesquels on pouvait lire en lettres d’un rouge vif : « DU SANG ET DES OS ».

Il suffit d’une minute à Mr G.R. Cann pour comprendre qu’il s’agissait tout simplement d’un engrais, mais de prime abord il avait éprouvé un choc. Il détestait la vio­lence, dont même la seule idée lui était odieuse et avant qu’il eût compris ce que contenaient les paquets, c’est la violence que les lettres rouges avaient clamée à ses yeux.

Quelques instants plus tard, ayant regagné « son » trottoir, il poursuivit son chemin, dont il savourait cha­que jour les menues particularités : un bruit d’eau déver­sée dans le gros tuyau flanquant un immeuble et indiquant la fin d’un bain matinal. Ou la vieille bavarde qui s’arrangeait toujours pour surgir au passage du lai­tier, afin d’échanger quelques propos avec lui. Ou encore le gros homme qui, tête baissée sur les mots-croisés du Times, sortait invariablement des jardins lorsque Mr G.R. Cann en atteignait les grilles.

Mr G.R. Cann savait bien qu’il ne lui fallait pas comp­ter

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